Les origines de Ouesona
S’intéresser à la naissance de Ouesona/Périgueux à la période augustéenne nous conduit à s’interroger sur les étapes qui ont amené sa création et qu’elle conserve en héritage.
Cette étude fait suite aux quarante-cinq années que j’ai consacrées à étudier les sociétés protohistoriques du département actuel de la Dordogne, l’ancienne cité des Pétrocores. De cette recherche au sol est née une question essentielle dans le processus d’urbanisation de Vesunna : quel est le poids des héritages protohistoriques qui ont été souvent occultés ou parfois niés par le monde académique ?
Dans quelle mesure les racines de Vesunna remontent à la Protohistoire ? Quelle était l’organisation territoriale des Pétrocores avant la ville gallo-romaine de Vesunna ? Quelle place cet héritage protohistorique a-t-il joué dans sa naissance, et comment ?
Je rappelle que jusque dans les années 1970, date à laquelle j’ai entrepris une recherche sur l’oppidum du Camp de César/La Curade (Coulounieix-Chamiers), ce site passait le plus souvent pour un camp romain, malgré l’étude du marquis de Fayolle (1919), alors qu’il s’agit de la première métropole connue des Pétrocores !
Le dossier que j’ouvre ici résulte également de mes recherches menées sur la colline d’Ecornebœuf (Coulounieix-Chamiers) depuis 2012 et qui apportent, légitimement, des éléments de réponse nouveaux. Ainsi la colline d’Ecornebœuf qui était considérée comme un oppidum gaulois s’avère être en réalité le lieu de résidence des élites pétrocores. Avec La Curade, il constitue un seul et même ensemble.
Je ne prétends pas ici apporter des réponses définitives à ces questions qui ont déjà été récemment abordées (Bost et Fabre, 2002, p. 15-25 - Girardy, 2011 et 2013) mais, suite aux découvertes récentes réalisées entre 2012 et 2015 avec mon équipe de l’ADRAHP sur la colline d’Ecornebœuf, proposer de nouvelles hypothèses dans le processus de la création de Vesunna. Cette étude vise à tenter de comprendre comment les élites pétrocores ont décidé la création de leur nouvelle capitale et la place tenue par Ecornebœuf dans ce processus.
La question de l’apparition des capitales de cités en Gaule Chevelue ou Comata, et en particulier celle des Pétrucores, connaît un regain d’intérêt depuis ces dernières années (Girardy, 2011 et 2013 - Réddé et Van Andringa, 2015). Ce nouveau regard est dû en grande partie au développement des fouilles d’archéologie préventive qui apportent des acquis nouveaux, lesquels mettent bien en évidence la diversité des situations pour chaque cité. Jusqu’à ces dernières décennies, l’idée que la ville gallo-romaine de Vesunna avait été créée à la suite de la Conquête romaine a prévalu. En fait, le decorum de ces villes nouvelles, « à la romaine », dotées de temples et d’un forum, urbs figées dans leur parure monumentale et dans leur urbanisme, ne rencontrent plus guère de défenseurs de ce modèle (Gardes, 2015, p. 39).
Sans l’implication décisive des élites pétrocores dans le processus d’intégration à l’Empire, rien n’aurait été possible ! Et ces aristocrates pétrocores n’ont semble-t-il pas attendu les sollicitations romaines pour expérimenter un processus d’acculturation au monde méditerranéen à la suite de l’épisode d’Alésia. Et dans ce processus, Ecornebœuf apparaît comme un relais majeur dans la naissance de la future capitale de cité sous Auguste.
Pour la création de Vesunna/Périgueux à la période augustéenne et son développement dans la première moitié du Ier siècle ap. J.-C. dans la plaine, je renvoie le lecteur à la remarquable publication très documentée réalisée en 2013 par Claudine Girardy qui en décrit fort bien les modalités et son évolution (Girardy, 2013).
C’est donc un fait incontournable, pour approcher les conditions favorables à la création de ce nouveau chef-lieu de cité, il est nécessaire de prendre en compte le contexte antérieur à son éclosion. Les clefs essentielles pour observer cette évolution vers une urbanisation se trouvent sur le replat de Saint-Georges où j’ai décelé les vestiges d’une probable ville ouverte qui a précédé la métropole des Pétrocores sur le plateau de La Curade et sur la colline d’Ecornebœuf. Ecornebœuf est devenu un quartier satellite de l’oppidum de La Curade dans les années 80 av. J.-C., avec un transfert de certaines élites de l’oppidum vers Ecornebœuf. En effet, les découvertes réalisées ces dernières années témoignent du statut élevé de ces habitants dont le statut social reste à définir (Chevillot, 2017). Il faut aussi, pour cela, s’affranchir des cadres chronologiques conventionnels pas forcément identiques en fonction des régions et des peuples celtes. En effet, on constate pour des cités proches comme Bordeaux, Saintes, Toulouse ou Auch par exemple, que les contextes et les situations sont fort différentes de celle des Pétrocores (Réddé et Van Andrigra, 2015).
Dans ce contexte local, la colline d’Ecornebœuf, trop longtemps oubliée, apparaît comme le site majeur dans la naissance de la future capitale de cité des Pétrucores, car c’est de ses pentes que les Pétrocores l’ont imaginée.
À propos du théonyme Ouesouna ou Ouesona (et non pas Vesunna)
Sur des inscriptions antiques trouvées à Vienne (OEVSONA) et à Metz (OEVSONA), on trouve des mentions de ce nom relatives à des personnages qui seraient issus de cette cité (Grüter, 1850, p. 718, n° 5). Dès 1858, l’abbé Audierne avait évoqué le nom de Ouesouna, parmi d’autres variantes, pour nommer la cité des Pétrocores (Audierne, 1858, p. 11).
Grâce à Pierre-Yves Lambert, nous avons une idée plus précise sur l’étymologie du nom de cette cité antique. La formation ou l’analyse du nom est, je crois, limpide pour tous les celtisants :
1) uesu- est un adjectif thème en -u- bien connu. Cf. sanskrit vasu-, « bon ». Le neutre *uesu est conservé tel quel en celtique insulaire, en tant qu’adjectif uniquement employé comme prédicat, irlandais ancien et moderne fíu, gallois ancien et moderne gwiw : cet adjectif, placé en tête de phrase, signifie « il vaut la peine, il est bon / valable / souhaitable ». Il y a des dérivés, ainsi l’abstrait thème en -â, *uesua > irlandais ancien fedb « valeur ».
2) Le suffixe de type -no-, -nâ, comporte une particularité, le redoublement de la nasale. Ce redoublement se retrouve sporadiquement dans l’onomastique, et en particulier dans les théonymes. L’exemple le plus frappant est Cernunnos - là encore un dérivé de thème en -u (*kernu- / *kornu-, cf. lat. cornu-tus). Mais le sens du suffixe est inchangé : « celui qui a des cornes ». La même finale -unno- se retrouve dans un nom de dieu hittite. Cf. encore (cette fois sans redoublement du -n-) le dieu slave *Perkunos, et *Hercynia, nom de forêt celtique, tous deux dérivés du nom du chêne, *perku-.
Vesunna signifierait donc « celle qui a de la valeur, celle qui a des biens de valeur » (l’eau de source, en l’occurrence).
Il n’est pas nécessaire de chercher dans ce redoublement de -n- la trace d’un second mot - un deuxième élément de composé, comme j’en ai supposé un pour Andoounna - translittéré -, que j’avais expliqué par *ande-ud-na, « Eau d’en-bas » (Etudes celtiques 27, 1990, 197 s.). Mais cette explication ne vaut que pour des finales avec -ounna, c’est-à-dire avec la vraie diphtongue -ou- (pas la graphie grecque de la voyelle simple -u-). À mon avis, faire intervenir cet élément -ud-na « unda » serait compliquer inutilement l’étymologie de Vesunna.
Ouesouna ou Ouesona semble donc être dérivé du thème uxs = « haut » qui apparaît dans la toponymie gauloise avec le suffixe de superlatif Uxisama = « la très haute », qui se retrouve aussi dans « Ouessant ». Le nom de Vesunna est donc une translation médiévale dans la mesure où le V n’existe ni en gaulois ni en latin.