Mémoire vivante
de la Société Historique et Archéologique du Périgord
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Les mots et les choses
Les plats du cuisinier évoluent et se transforment au cours du temps : c’est le cas du pâté de Périgueux, ce que l’on peut suivre avec le changement de sens des mots "pâté", "pâtisserie" et "pâtissier". Le mot "pâtisserie", quand il apparaît vers 1170, désigne aussi bien un ensemble de gâteaux (surtout tartes et flans farcis au fromage frais) que des aliments salés cuits dans une pâte : des abats, des viandes variées et de petits oiseaux (volaille, veau, perdrix, grive, merle) ou du poisson avec une préférence pour l’anguille qui ne contient pas d’arête. Le pâtissier, qui vendait aussi des œufs, préparait également des pâtés de porc. Pâté désignait donc tout ce qui était cuit dans une pâte — pâté a toujours le sens de « petit gâteau » en Belgique. On lit encore ce portrait à la fin du XVIIIe siècle : « Le pâtissier avec une lardoire exprime le jus du gigot, de l’éclanche, de l’aloyau ; mais il n’est pas perdu ; il vous le vend dans de petits pâtés qui en sont plus succulents » (Sébastien Mercier, Tableau de Paris).
La tradition du pâté
Le pâté était donc encore au XVIIIe siècle une préparation de pâte faite à la main et farcie de viande ou de poisson, très vite avec une farce à base de perdrix introduite elle-même dans une perdrix ; l’ensemble cuisait dans la braise, feu dessus feu dessous. La pâte — ce que nous nommons croûte aujourd’hui — pouvait être colorée avec de l’œuf ou du safran. Cependant, à partir de cette époque, la composition du pâté s’est transformée. Il était toujours cuit dans une pâte, l’ensemble appelé terrine ; un ouvrage du début du XVIIIe siècle précise : « on recouvrait bien la terrine, & on la bouchait bien avec de la pâte ; on la faisait cuire sur des cendres chaudes [...] Aujourd’hui la terrine n’est autre chose que plusieurs sortes de viandes cuites à la braise [dans une pâte], et servies ensuite dans une terrine d’argent ou de faïence ». La cuisson dans un pot est cependant relevée dans la dernière partie du XIVe siècle.
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Terrine Courtois (coll. MAAP)
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Terrine Michellet (coll. MAAP)
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Le pâté de Périgueux
La spécificité du pâté de Périgueux vient de l’introduction de la truffe, puis beaucoup plus tard, à la fin du siècle, d’une farce et du foie gras qui remplace la perdrix, mais cette préparation ne se généralise qu’au XIXe siècle. On en lit l’éloge dans l’Almanach des gourmands de Grimod de La Reynière en 1803 :
De toutes les manières de faire voyager les truffes du Périgord, celle de les amalgamer avec du foie de canard dans ces terrines succulentes n’est ni la moins agréable ni la plus économique ; mais aussi c’est pour les Dieux de la terre, c’est-à-dire pour les hommes opulents, que de telles jouissances sont réservées.
Ce n’est pas pour autant que le pâté à base de perdrix disparaît, le même amateur en vante les mérites :
Ne sera-ce point insulter aux connaissances de ses honorables lecteurs, que d’ajouter que la perdrix nous fournit les tombeaux les plus distingués de la classe giboyeuse. Qui ne connaît ces admirables pâtés de perdrix de Cahors et de Périgueux ; ces lits délectables où les perdrix reposent sur les truffes, les truffes sur les perdrix, et toujours ainsi jusqu’au sommet.
Les pâtissiers, qui travaillent progressivement comme traiteurs au cours du XVIIIe siècle, présentent leurs pâtés dans des terrines en fer ou en faïence où leur nom est inscrit ; beaucoup sont conservées et nous donnent le nom des artisans les plus appréciés, comme Courtois (ou Courtoy), Michellet.
Courtois et la diffusion du pâté de Périgueux
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Maison de Courtois (rue Limogeanne)
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La cuisine de Courtois
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L’étude de Fernand de La Tombelle (1854-1928) sur le pâté de Périgueux est aujourd’hui la source principale de tous les renseignements concernant ce pâtissier. François Antoine Courtois (1727-1802), originaire du Doubs, s’est installé jeune à Périgueux, devenant pâtissier rue Limogeanne (actuellement, n° 7) où il vend pâté de grives et dindes truffées. L’excellence de sa production contribue largement à la renommée gastronomique du Périgord : les consuls de la ville achètent ses terrines de pâtés pour les envoyer à leurs protecteurs : couverts de saindoux et dans leurs boîtes en fer, les pâtés se conservaient aisément, pouvaient voyager et arriver à bon port. On sait que le roi de Prusse Frédéric II, grand amateur de bonne chère, en faisait venir pour sa table. Cette diffusion large, à Paris, à la Cour et hors des frontières, a abouti à ce que « ces produits ont été progressivement assimilés à la ville et à la région » (2). On parle couramment de pâtés « à la façon de Courtois » (id.) et, dans les années 1790, l’appellation « pâté de Périgueux » se généralise ; on peut lire à propos du Périgord :
« Le gibier y est excellent surtout les perdrix ; les truffes sont les meilleures du royaume, et le lard d’un très bon goût ; c’est ce qui fait que les pâtés de Périgueux sont depuis longtemps si estimés et si recherchés. » (id.)
Un autre cuisinier célèbre, contemporain de Courtois, André Noël (1726-1801), a travaillé à la cour de Frédéric II. Casanova avait jugé que son père, artisan pâtissier à Angoulême, avait un « talent prodigieux en matière de pâtés ». Le XIXe siècle a aussi fourni de nombreux charcutiers réputés pour leur pâté de Périgueux, dont Francony.
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La maison du pâtissier
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La Maison du pâtissier
Située à l’angle de la rue Éguillerie, dans la ville ancienne, le corps de logis de cette maison date du XVe siècle et a été modifié plusieurs fois. Elle avait été vendue en 1818 à Francony, pâtissier (fabricant de pâtés), d’où son nom. Elle reçoit aujourd’hui pendant la saison de la truffe les producteurs de la région de Périgueux.
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Le pâté de Périgueux
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Le remplacement de la perdrix par une farce et du foie gras n’a pas été adopté d’emblée au cours du XIXe siècle ; la réputation du pâté a été moindre. Aujourd’hui la Confrérie des Maîtres Pâtissiers du Pâté du Périgord a défini la composition du pâté qui doit comprendre 50% de farce, 47% de foie gras et 3% de truffe. Chaque année un concours est organisé pour élire le meilleur pâté.
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(1) Fernand de La Tombelle, Les Pâtés de Périgueux, chez H. Ronteix imprimeur, à Périgueux, 1909. (2) Philippe Meyzie, La Table du Sud-Ouest et l’émergence des cuisines régionales (1700-1850), Presses universitaires de Rennes, 2002, 432 p.
Tristan Hordé
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